La séance est ouverte à dix heures trente.
M. le président Olivier Falorni. Nous avons aujourd’hui le plaisir d’organiser une table ronde réunissant des syndicats agricoles : la FNSEA, représentée par Mme Christiane Lambert, vice-présidente depuis 2010, la Coordination rurale, représentée par M. Bertrand Venteau qui la préside dans la Haute-Vienne et qui est membre de sa section « viande », la Confédération paysanne représentée par son porte-parole, M. Laurent Pinatel, et le Mouvement de défense des exploitants familiaux, représenté par M. Jacky Tixier, qui le préside dans la Creuse où il est éleveur de bovins et producteur de viande bio.
Avant de vous donner la parole pour un propos liminaire, je dois vous rappeler que nos auditions sont ouvertes à la presse et diffusées en direct sur le portail vidéo de l’Assemblée nationale.
Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vais demander à chacun des intervenants de prêter serment en jurant de dire toute la vérité, rien que la vérité.
(Mme Christiane Lambert et MM. Laurent Pinatel, Bertrand Venteau et Jacky Tixier prêtent successivement serment.)
Mme Christiane Lambert, première vice-présidente de la FNSEA. Après avoir élevé des bovins et des porcs dans le Cantal, j’élève désormais des porcs dans une exploitation familiale du Maine-et-Loire ; je suis donc une passionnée de l’élevage, que je connais parfaitement. Je vous remercie de l’invitation que vous nous avez faite de témoigner en tant qu’éleveurs dans le cadre de vos travaux. J’ai lu les comptes rendus de différentes auditions que vous avez tenues, et je salue la qualité de votre travail qui, nous l’espérons, permettra de conduire un débat posé et dépassionné sur un sujet complexe que certains événements ravivent régulièrement, comme ce fut le cas des images diffusées hier, que nous avons tous vues et qui sont insoutenables, notamment parce qu’elles sont récurrentes. En revanche, s’il faut dénoncer ces gestes inadmissibles, le fait d’entrer dans les abattoirs de cette façon et avec un équipement vidéo pose question. De même, les propos tenus par le préfet hier soir, selon lesquels ces images pourraient être obsolètes, nous interrogent : j’espère que toute la lumière sera faite sur cet événement si les actes rapportés sont avérés.
La réglementation encadrant les conditions d’abattage a été très souvent rappelée ; je n’y reviens donc pas. La France et l’Europe sont sans doute les lieux où ces normes sont les mieux respectées au monde. Les pouvoirs publics français en sont les garants et doivent le rester. Nous comptons beaucoup sur la présence d’inspecteurs vétérinaires pour contrôler le bon déroulement des opérations dans les abattoirs et s’assurer que le passage de la vie à la mort des animaux se fait dans les meilleures conditions et sans souffrance. En tant qu’éleveurs, nous sommes attachés au bon traitement des animaux : nous les élevons avec soin et professionnalisme, et nous avons peu à peu intégré les nouvelles demandes sociétales de bien-être des animaux et de connaissance de leur comportement. Nombreux sont les agriculteurs qui se forment pour être plus à même d’appréhender ces questions : plus de 4 500 agriculteurs se sont formés l’an dernier pour mieux cerner la sociologie et le comportement des animaux, et pour leur offrir des bâtiments, une alimentation et des soins adaptés. Nous savons aussi que les conditions économiques sont plus ou moins favorables. En raison de la crise actuelle de l’élevage, les éleveurs sont plus inquiets, plus stressés. Or, ce sujet crée un stress supplémentaire lorsqu’il est abordé de manière critique et stigmatisante.
Nous sommes donc au travail. La FNSEA a coordonné voici un an les travaux de vingt-six organisations d’élevage – instituts techniques, interprofession, associations d’élevage, de vétérinaires et d’anthropologues qui travaillent autour de l’élevage – pour bien montrer que de la naissance au départ pour l’abattoir et à l’abattoir même, nous sommes attachés aux bonnes pratiques d’élevage, de transport et d’abattage des animaux. Je tiens le document issu de ces travaux à votre disposition.
En tant que responsables d’une organisation syndicale, nous sommes attachés à accompagner les agriculteurs pour tenir compte de ces nouvelles perceptions et pour qu’un travail de professionnalisation et de prise en compte de ces sujets soit accompli. Cela suppose d’informer, de conseiller, de former mais aussi de déployer des chartes de bonnes pratiques d’élevage auprès de tous les agriculteurs, et de mettre en œuvre des guides de bonnes pratiques et d’hygiène – que nous impose la réglementation européenne mais qui trouvent aussi des déclinaisons intéressantes lorsque nous les accompagnons dans les élevages. Aujourd’hui, 90 % des éleveurs – en produits laitiers et en viande – ont signé la charte des bonnes pratiques de l’élevage, et ce pourcentage est très légèrement inférieur en production ovine. Autrement dit, les élevages se caractérisent par un fort niveau de professionnalisme.
Cependant, nous devons aussi expliquer notre métier, faire savoir comment il fonctionne. La société est de plus en plus urbaine et le secteur des services prend une part croissante ; en clair, on s’éloigne du vivant, de l’animal, de son comportement, de ses attentes, parfois aussi de ses excès – un coup de sabot de cheval ne fait pas de bien, un coup de pied de vache ou un coup de dent de cochon pas davantage. Les animaux sont vivants et parfois imprévisibles. Nous devons expliquer que nous travaillons avec du vivant et que les animaux ne se ressemblent pas. C’est pour cette raison que nous avons pris conscience que la sensibilité des animaux, sur lequel les parlementaires ont statué l’an dernier, était un vrai sujet : nous savons que les animaux sont des êtres sensibles, car il y a toujours une vache qui est leader du troupeau, toujours un animal plus impétueux ou nerveux que les autres. Nous connaissons cette sensibilité.
Nous sommes les premières sentinelles auprès des animaux, puisque nous vivons avec eux et auprès d’eux au quotidien, sept jours sur sept et vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Nous les accompagnons dans les phases les plus délicates que sont le vêlage, le changement de pâture ou de bâtiment. Nous avons à cœur d’expliquer notre métier davantage. Il est vrai que certains types d’élevage posent aujourd’hui plus de questions. Les caricatures existent : grands élevages égalent souffrance, lit-on parfois. Or, le bien-être animal est aussi appréhendé dans les grands élevages, et les règles des directives européennes – qu’il s’agisse de la surface, de la ventilation, de l’éclairage, de la luminosité ou du confort – sont prises en compte afin de donner aux animaux les meilleures conditions d’élevage et de leur permettre d’exprimer leur comportement. Les agriculteurs respectent notamment la directive européenne sur le bien-être de 2001, toilettée en 2008 ; et en cas de non-respect, des sanctions financières s’appliquent en vertu de la conditionnalité de la politique agricole commune (PAC).
De plus, nous sommes très durs vis-à-vis des mauvaises pratiques d’élevage, de transport et d’abattage. Ces pratiques sont aujourd’hui médiatisées. Permettez-moi une parenthèse à ce sujet : nous savons qu’un certain nombre d’associations de protection des animaux les médiatisent dans un réel souci de protection des animaux ; d’autres associations – c’est le cas de L214 – expliquent clairement sur leur site que leur objectif est la non-consommation de viande et la libération des animaux ; il y a là un idéal masqué, puisque cette association s’attache à diffuser des images choquantes dans le seul but de dissuader de consommer de la viande – c’est en tout cas ainsi qu’elle l’exprime. Nous sommes très attentifs à ce durcissement de ton de la part de certaines associations. En revanche, nous avons à cœur de dialoguer avec certaines autres pour expliquer quelle est la nouvelle attente et pourquoi elle se manifeste. Nous travaillons avec d’autres organisations comme CIWF, qui visite des élevages et contribue à écrire des cahiers des charges, et qui est intervenue devant la FNSEA. Nous travaillons également avec l’association Welfarm, qui visite aussi des exploitations et avec laquelle nous avons projeté plusieurs réunions de travail thématiques pour entrer dans le détail de ce que l’on peut faire ou pas dans l’intérêt des animaux. En clair, nous faisons un net distinguo entre les objectifs poursuivis par certaines associations et par d’autres.
Nous formons également en matière de transport et sommes très attachés à ce que nos outils économiques, lorsqu’ils sont opératifs, s’appuient sur des transporteurs consciencieux. Nous le constatons lors de l’embarquement des animaux. Lors du transport de l’élevage à l’abattoir, les animaux passent par des lieux identiques : au quai d’embarquement dans l’exploitation agricole correspond la bouverie à l’abattoir. Nous avons rénové nos quais d’embarquement, qui sont désormais plus lumineux ; les animaux sont brumisés, ont accès à l’eau, ont de la place pour se coucher ; les bâtiments ont été dotés d’un certain confort. Pour les bovins, des couloirs de contention ont été aménagés pour éviter tout risque, car c’est quand les hommes sont stressés par le comportement des animaux que de mauvais gestes peuvent être commis. Il faut donc prévoir les meilleures conditions de stockage des animaux dans ces endroits, pour que leur départ dans les camions et leur arrivée dans les couloirs ou les bouveries des abattoirs suscitent chez eux le moins de stress possible.
Nous savons que le passage de la vie à la mort est particulier. Les éleveurs ont tous donné la mort, à un moment ou à un autre. J’élève des porcs : nous en tuons à la ferme – c’est autorisé, et nous faisons de très bonnes charcuteries. Oui, nous aimons nos animaux ; l’instant du coup de couteau est donc très particulier. Nous comprenons que ce geste qui, en abattoir, est répétitif, puisse changer la façon d’appréhender l’animal et la relation que l’on a avec lui.
C’est pourquoi nous soutenons la proposition de M. Le Foll d’étendre la présence d’un référent protection animale aux établissements de petite taille ; c’est nécessaire. Dans notre profession, nous avons mis du temps à intégrer ces problématiques de bien-être animal, et nous comprenons qu’il faille du temps pour l’intégrer dans les structures d’abattage, où les salariés sont parfois insuffisamment reconnus et valorisés, non seulement en termes de salaire mais aussi parce que leur métier est mal connu et parfois décrié. J’ajoute que les images actuellement diffusées créent un énorme trouble dans le monde des salariés d’abattoirs, qui jugent leur profession trop stigmatisée en raison de quelques mauvaises pratiques qui sont minoritaires, mais que certains voudraient faire passer pour des pratiques généralisées.
Plusieurs sujets sont en débat. Faut-il ou non installer des caméras dans les abattoirs ? Qu’en est-il de la formation, ou encore de l’abattage rituel ? Sur le premier sujet, nous ne pensons pas qu’installer des caméras soit la solution magique, car les salariés auront du mal à l’appréhender. En revanche, l’installation ponctuelle de caméras aux endroits les plus sensibles peut permettre d’encadrer les choses pour le référent vétérinaire. Autrement dit, notre avis est plutôt réservé, voire défavorable par rapport aux salariés, et parce qu’il sera très difficile d’exploiter des milliers d’heures d’images. On peut cependant envisager l’utilisation d’images à des fins de formation : les éleveurs savent par exemple qu’il est préférable, pour expliquer le parage d’un pied ou l’écornage d’un bovin, de faire référence à des images filmées en situation réelle afin de montrer les bons et mauvais gestes dans un souci d’amélioration continue. Cela étant, le respect des salariés doit être total – la question demeure délicate.
J’en viens aux contrôles et à la tentative de généralisation des mauvaises images. M. Le Foll a émis l’idée intéressante de faire visiter tous les abattoirs en avril, et l’analyse des résultats a été utile. L’alternative entre small is beautiful et big is bad n’existe pas : les choses sont plus compliquées. La taille n’est pas toujours en cause : c’est plutôt le management et l’état d’esprit de l’abattoir qui importe, ainsi que le dialogue et l’échange. À ce titre, peut-être pourrions-nous envisager des groupes mixtes de travail et de dialogue associant des éleveurs et des salariés d’abattoirs, et pourquoi pas des associations de protection animale, dans un cadre bien précis et de façon volontaire, afin de permettre une plus grande fluidité des échanges plutôt que la pérennisation de conflits.
Un mot, pour conclure, sur l’abattage rituel et sur les types d’abattoirs. Le sujet de l’abattage rituel est très délicat et oppose deux visions : celle des responsables du culte et celle des associations de protection des animaux. Nous, éleveurs, avons un avis en tant que citoyens mais, dans un pays laïque, le débat et le dialogue ont lieu entre les associations de protection animale et les responsables du culte. Étant moi-même pratiquante et très attachée à une religion, je suis très respectueuse des cultes : le dialogue est nécessaire et doit être intensif, pour qu’il débouche sur des solutions. Certains pays comme l’Allemagne et le Danemark ont avancé ces derniers temps s’agissant d’un étourdissement préalable à la saignée. Je sais que ces sujets sont délicats vis-à-vis des cultes en France, et je respecte ce dialogue. La FNSEA en tant que telle n’y participe pas directement, mais elle le suit, est questionnée et a son avis sur le sujet.
Toutefois, nous pensons que la montée en puissance de la préoccupation relative au bien-être animal arrive pratiquement à égalité d’enjeu avec les aspects sanitaires et hygiéniques, et nous devons envisager les questions qui se posent en fonction d’une sociologie complètement renouvelée, où ce sujet est devenu particulièrement important. J’appelle chacun à la responsabilité : ce n’est pas en stigmatisant, comme peuvent le faire certaines associations, que l’on amènera à un dialogue apaisé. Il faut que chaque partie prenante fasse un pas vers les autres. Le fait que l’Allemagne et le Danemark aient réussi à trouver un compromis me rend optimiste quant à la capacité que nous aurons en France à en trouver un à notre tour. Je note quand même que la Pologne, qui avait fait ce choix, a baissé pavillon quelques mois plus tard en raison de la perte de marchés, parce qu’il y a naturellement derrière cette question des enjeux économiques.
Sans doute aborderons-nous plus tard la question des sites d’abattage itinérants et des abattoirs à la ferme, puisque je constate qu’elle a souvent été évoquée lors des autres auditions.
M. le président Olivier Falorni. Dans le cas de la Pologne, il existe en effet une dimension économique, mais c’est la Cour constitutionnelle qui, pour des raisons de non-discrimination, a cassé la décision prise concernant l’abattage rituel. Il y a donc aussi une dimension juridique, même si l’aspect économique n’a certainement pas été étranger à ce retour en arrière.
M. Laurent Pinatel, porte-parole de la Confédération paysanne. Il nous semble important, à la Confédération paysanne, que cette commission d’enquête ait lieu, et nous suivons attentivement vos travaux, que nous devinons particulièrement lourds et astreignants pour vous. L’approche consistant à creuser le sujet et à écouter l’ensemble des acteurs qui ont des choses à dire sur la filière me semble intéressante, car elle vous permet de ne pas vous appuyer sur un postulat orienté d’emblée et d’adopter une approche très large avant de vous faire un avis et de prendre des décisions. Nous saluons donc l’organisation de vos travaux.
S’agissant de l’état des lieux, on ne peut pas nier, au vu de certaines vidéos, qu’il existe des problèmes dans certains abattoirs. On ne peut pas non plus nier que ces problèmes sont aussi mis en scène et montés en épingle, et que ces vidéos de L214 visent aussi à généraliser un mouvement abolitionniste et, comme l’a dit Christiane Lambert, à faire disparaître l’élevage. Nous condamnons fermement cette volonté qu’a l’association L214 de s’enfermer dans une idéologie complètement déconnectée de ce que peut être la réalité des éleveurs et des modes de consommation, même si elle signale des points sur lesquels il faut se pencher.
Il nous semble important de rappeler que l’abattoir n’est pas qu’un maillon de la filière viande. Il faut aborder cette filière comme un tout, depuis la naissance de l’animal chez l’éleveur jusqu’à son arrivée sur les étals des bouchers et des grandes surfaces. Il faut considérer l’ensemble de ces filières non pas de manière segmentée, mais comme un ensemble unique, et c’est sur cet ensemble qu’il faut agir pour que le bien-être animal soit respecté et que l’objectif final d’obtenir un produit de qualité soit atteint. En ce sens, l’abattoir n’est pas un outil de profit quelconque, qui serait placé quelque part au milieu d’une filière, entre le producteur et le distributeur.
Certaines politiques visent aujourd’hui à améliorer la rentabilité, à travailler avec moins de personnels dans les abattoirs, à accélérer les cadences dans certains abattoirs – on entend parler de huit à neuf cents porcs abattus à l’heure… Je n’ose imaginer ce qu’est la vie de la personne qui effectue cet acte. On assiste en fait à une dérive de l’industrialisation de l’abattage, dans un contexte global de dérive de l’industrialisation de l’agriculture. De ce fait, une certaine logique prévaut, qui vise à accélérer les quantités produites dans les fermes et traitées dans les abattoirs sans se soucier de la nature même de l’être vivant qu’est l’animal, des éleveurs et des salariés d’abattoirs. Dans certains élevages de très grande taille, le lien entre l’éleveur et l’animal a tendance à disparaître. On peut certes trouver des artifices pour améliorer le bien-être de l’animal, mais rien ne remplacera jamais le lien fort qui existe entre l’animal et l’éleveur.
Dans ce scandale des abattoirs, il y a tout de même des victimes nettement identifiées : ce sont les éleveurs, qui, tout au long de l’acte de production, prennent soin de leurs animaux, respectent leur bien-être, les aiment et les accompagnent, jusqu’au moment où ils montent dans le camion pour partir à l’abattoir ; ce sont aussi les salariés des abattoirs, qui subissent un système d’extrême rentabilité et qui, aujourd’hui, sont montrés du doigt et livrés à la vindicte populaire parce que certaines choses fonctionnent mal.
Nous devons réfléchir à tout cela et nous demander si les pouvoirs publics ne portent pas une part de responsabilité dans cette dérive. Lors d’une de mes précédentes auditions dans le cadre de la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, présentée par M. Le Foll, la Confédération paysanne avait souligné la faiblesse du volet économique de ce projet de loi. Nous avons en effet un problème avec les abattoirs : y en a-t-il encore assez dans notre pays pour permettre un abattage correct et limiter les temps de transport des animaux ? Tôt ou tard, la disparition des abattoirs finira par provoquer un scandale en matière de temps de transport des animaux ; ayons cela à l’esprit.
Il nous semble que l’abattoir doit être un outil de service public, au fond. La privatisation des abattoirs entraîne les dérives de l’augmentation des cadences et de la diminution des moyens alloués aux personnes qui effectuent l’acte d’abattage. Les vidéos diffusées hier montrent par exemple des problèmes manifestes de fonctionnement du matériel, qui s’expliquent par un manque de moyens. Ce n’est pas que l’employé ne sait pas se servir de l’outil ; c’est tout simplement l’outil qui ne fonctionne pas. Surtout, ce souci permanent de rentabilité s’inscrit dans un contexte économique très libéral où il faut produire toujours plus. À l’heure où l’État français envisage la négociation au niveau européen de traités de libre-échange, notamment avec le Canada et les États-Unis, pour lesquels le bien-être animal n’est rien, à quoi servira votre commission ? Si nous nous imposons des entraves – je caricature à dessein – en matière de bien-être animal, pourra-t-on faire du commerce avec ces grandes puissances économiques et les concurrencer ? Nous pensons naturellement que nous devons affirmer notre forte identité agricole, réaffirmer que le bien-être animal est important et que, dans ce cadre, on ne saurait continuer d’aller buter sur le mur du libéralisme et de l’échange à tout prix.
Une fois que l’on a établi ce constat et identifié les lieux dans lesquels il faut agir, il faut chercher des solutions. Il nous semble que certaines d’entre elles relèvent de l’organisation même des abattoirs, qu’il s’agisse de la diminution des cadences ou, surtout, de la formation. Le métier n’est pas très intéressant : outre ma formation agricole, j’ai aussi une formation aux métiers de la viande, notamment les métiers d’abattage, et pour avoir visité beaucoup d’abattoirs, je sais que ce n’est vraiment pas un travail épanouissant – et il l’est d’autant moins qu’il est soumis à des cadences infernales. Il faut déployer un effort de sensibilisation auprès des employés des abattoirs pour les responsabiliser en tant qu’acteurs à part entière de la filière, au même titre que les éleveurs et que les bouchers. Inévitablement, il faut aussi réduire les cadences dans certains abattoirs et définir un seuil à partir duquel un homme ne peut plus travailler correctement et produire l’acte dans de bonnes conditions.
S’agissant de l’amélioration du fonctionnement des abattoirs, nous nous interrogeons également sur les fonds alloués à la rénovation des abattoirs, notamment par FranceAgriMer. Le ticket d’entrée est fixé à 1 million d’euros ; aucun investissement inférieur à ce montant n’est subventionné. Cela nous semble préjudiciable aux petits abattoirs ; sans doute faudrait-il réexaminer cette question.
Le nombre d’abattoirs pose également problème, car il est en chute libre. Or la concentration aggrave forcément les difficultés à réaliser un travail correct. Il nous semble qu’il faut recréer des abattoirs de proximité auprès des lieux de production, ce qui permettrait de diminuer les temps de transport des animaux et d’améliorer leur bien-être, même si la filière, comme l’a dit Christiane Lambert, a déjà réalisé un énorme travail sur le bien-être animal au moment du chargement, du transport et du déchargement. Il nous semble toutefois primordial de recréer des abattoirs et des unités économiques de proximité – en somme, de relocaliser l’acte d’abattage, ce qui permettrait en outre de créer localement des emplois dans certaines régions mises à mal par la crise.
De même, nous sommes très attachés à l’amélioration du paquet « hygiène » européen, pour qu’il soit effectivement possible de pratiquer l’abattage à la ferme grâce à l’abattage mobile. La Confédération paysanne travaille sur le sujet depuis de nombreuses années ; un groupe d’éleveurs y a travaillé avec des collègues d’autres pays, en organisant notamment des visites et des échanges d’expérience avec des éleveurs autrichiens qui pratiquent l’abattage mobile à la ferme, qui diminue le stress de l’animal et qui permet à l’éleveur d’accompagner son animal jusqu’au bout et d’améliorer les conditions d’abattage. C’est une piste à expérimenter, même si nous ne prétendons pas qu’il faille la généraliser. Il faut étudier la diversité des modes d’abattage et ne pas s’interdire les expérimentations qui fonctionnent ailleurs pour améliorer les pratiques d’abattage dans notre pays.
Parmi les propositions qui semblent émerger des différentes auditions que vous avez tenues, nous réaffirmons notre opposition à la vidéosurveillance, parce qu’elle génère un stress supplémentaire pour les salariés. Le fait de surveiller des employés pour vérifier comment ils travaillent ne sert en fait qu’à se donner bonne conscience, et crée une pression supplémentaire. Les images d’hier le montrent : la vidéosurveillance n’aurait pas permis que les couteaux soient mieux aiguisés et que les animaux correctement anesthésiés au préalable. Ce n’est pas un problème de vidéosurveillance, mais de matériel. En revanche, nous sommes d’accord avec la FNSEA concernant l’utilisation de vidéos dans les supports pédagogiques pour former les tueurs et les employés de la filière viande.
Pour ce qui est de la présence systématique d’un référent protection animale dans les abattoirs, nous n’y sommes ni hostiles ni vraiment favorables, car ce ne sera pas la solution au problème. Il nous semble qu’il faut employer davantage de personnes dans les abattoirs et qu’elles soient toutes formées, plutôt que d’ajouter un surveillant d’abattoir. Plutôt que d’employer trois personnes à l’acte d’abattage et une à le surveiller, peut-être vaut-il mieux employer quatre personnes bien formées à la tuerie.
Il faudra effectivement davantage de transparences et de concertation dans le fonctionnement des abattoirs, car les éleveurs ont leur mot à dire en la matière. Il est utile, en effet, qu’ils puissent échanger leur expertise avec les abattoirs, notamment sur les parcs de contention et sur l’amenée. Il faut donc constituer des groupes de dialogue civil autour des abattoirs. Comme la FNSEA, la Confédération paysanne travaille avec des associations telles que CIWF : c’est le signe que certains militants du bien-être animal ont réellement la volonté d’être les interlocuteurs de l’ensemble des professionnels agricoles. C’est avec ces gens-là que l’on pourra travailler en toute objectivité pour trouver des pistes d’amélioration entre les éleveurs et les abattoirs.
M. Bertrand Venteau, président de la Coordination rurale de la Haute-Vienne. Je vous remercie de nous avoir invités pour parler d’un sujet aussi polémique. Je n’emploierai pas le même ton que mes collègues, et je commencerai d’emblée en disant ceci : l’homme est un omnivore à tendance carnivore. À voir la manipulation de la communication que font les végans, on pourrait en douter ; c’est pourtant la réalité.
S’agissant du bien-être animal, clarifions les choses : lorsqu’un animal est tué à l’abattoir ou à la ferme dans de mauvaises conditions, alors la viande n’est pas bonne. On peut remuer les images de L214 et autres, mais toute la filière viande sait bien qu’un animal mal élevé et abattu dans de mauvaises conditions ne produit pas de la bonne viande – au point qu’il faut quasiment la jeter, tellement elle n’est pas facile à travailler. Revenons donc aux fondamentaux.
Que cette commission ait été constituée, soit ; mais même si la loi a évolué concernant le bien-être animal et la sensibilité des êtres, il faut tout de même établir certaines différences. Le modèle social actuel est globalement chamboulé, et j’ai parfois le sentiment que certains de nos anciens qui partent en maison de retraite souffrent beaucoup plus que les animaux qui sont emmenés à l’abattoir. Faisons la différence entre l’humain et l’animal ; ce n’est pas la même chose. Que ces animaux soient sensibles, c’est certain ; mais nous aussi. L’humain est sensible. L’éleveur, au quotidien, est confronté à la vie. Quand on donne la vie, malheureusement, on donne aussi la mort. Il nous arrive d’avoir des pertes sur nos exploitations, et il faut s’y habituer. La mort d’un animal n’est pas taboue. Bien entendu, nous faisons tout notre possible pour les sauver, mais ce n’est pas forcément la priorité du monde agricole aujourd’hui. Les agriculteurs, en particulier les éleveurs, sont à bout à cause d’un système de normes qui ne leur procure ni revenus ni perspectives. Lorsque les mouvements végans, principalement, les traitent de « sanguinaires », toutes les conditions sont en train d’être réunies pour provoquer une nouvelle jacquerie, parce que l’agriculteur n’est pas responsable de tous les maux, que ce soient les pesticides ou l’irrigation. Depuis Sivens, l’agriculteur de base « ramasse » : c’est lui que l’on désigne comme la cause de toutes les pollutions et de tous les maux de la terre. Ce n’est pas le cas ! La Coordination rurale est atterrée de se faire attaquer tous les jours dans nombre de domaines.
De plus, comme l’a dit Christiane Lambert, le bien-être animal est bordé au niveau européen s’agissant des productions aidées. On ne peut donc guère faire d’impasses, au risque de le payer cash. Les retenues sur les primes arrivent très rapidement et, avec la nouvelle PAC, la moindre erreur nous fait facilement perdre 50 % des soutiens. Les agriculteurs ne s’amusent donc pas à faire les fous ; ils ne peuvent se le permettre, ni dans le système aidé ni même dans l’autre.
Si je suis inquiet, c’est aussi parce que nous pouvons en déduire que le rôle des anciennes directions départementales des services vétérinaires (DDSV) serait repris par des associations de bien-être animal. Le rôle de l’État est pourtant prépondérant dans le secteur sanitaire, et ce n’est pas à ces associations d’y mettre le pied. L’État est en effet la seule structure indépendante. Les autres acteurs ont forcément un parti-pris.
Or, l’abattoir est un lieu de mort et il faut vivre avec : c’est ainsi. Concernant les pratiques d’abattage halal et surtout casher, on tuait autrefois des animaux à la ferme selon des pratiques qui n’étaient pas forcément meilleures. De plus, certains agriculteurs ont trouvé dans l’abattage rituel un débouché. Si nous ne l’exploitons pas chez nous, d’autres le feront ailleurs en Europe, et il est regrettable de laisser passer ces marchés. La mort, c’est la mort. La méthode utilisée pour la donner peut choquer, mais peut-être aurait-il fallu que ces gens qui la dénoncent aient vu comment mes grands-parents tuaient les lapins en leur arrachant les yeux pour qu’ils se vident de leur sang… Je ne suis pas sûr que les animaux souffrent beaucoup plus dans les abattoirs d’aujourd’hui, qu’ils soient industriels ou non, qu’ils ne souffraient à l’époque de l’abattage à la ferme ; bien au contraire. Et je ne crois pas que l’on puisse faire un parallèle entre les mauvais traitements en termes de bien-être animal et l’industrialisation des abattoirs.
La filière a certes ses problèmes de marges en interne, mais c’est dans son ensemble qu’elle est attaquée, depuis le producteur jusqu’à l’abatteur, voire l’industriel, à qui l’on veut coller une image déplorable et ce dans le seul but que la consommation de viande cesse. Pourtant, on sait pertinemment que pour être en bonne santé, il faut des protéines d’origine animale, en particulier pour la croissance des enfants.
On ne peut donc pas attaquer frontalement de la sorte. Au fond, nous avons besoin que le mouvement végan se fasse un peu taper sur les doigts par l’État, parce qu’il touche à l’intérêt général du pays, précisément, en particulier des producteurs et des filières. Nous tenions à vous alerter sur ce point : c’est l’un des rôles de l’État. Véhiculer de fausses informations n’est pas tenable. Pour une fois – car c’est très rare –, toutes les filières du monde agricole, dans la production de viande ou de lait, sont affectées. J’ai vu une vidéo de 269 Life – l’entité qui fédère les associations de type L214 dans le monde entier – dans laquelle on proclame que « le lait, c’est du sang » et où l’on voit déverser du sang dans les grandes surfaces. J’ai été terriblement choqué pour les producteurs laitiers. Le vrai débat est là.
Quant à la présence d’un lanceur d’alerte dans les abattoirs, je suis sceptique, parce que cela peut s’avérer dangereux si un salarié n’aime pas son supérieur ou un collègue. Les abattoirs sont régis par des conventions collectives et les salariés sont capables de se gérer entre eux.
S’agissant de la vidéo, je ne partage pas forcément la vision de la FNSEA et de la Confédération paysanne – je m’étonne d’ailleurs du point de vue exprimé par Laurent Pinatel. Mon associé est fils de boucher et son frère travaille dans la filière de la viande bovine : la formation se fait d’homme à homme, rarement au moyen d’une vidéo.
M. Jacky Tixier, président du Mouvement de défense des exploitants familiaux (MODEF) de la Creuse. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie de m’accorder votre intérêt. Mon syndicat, le MODEF, m’a demandé de venir témoigner de mon expérience en me convainquant que la présentation d’un exemple positif pouvait faire plus facilement bouger les choses que la dénonciation de ce qui n’est pas satisfaisant.
Face à la diffusion de plusieurs vidéos d’abattoirs, le MODEF dénonce l’organisation industrielle des abattoirs qui entraîne de graves dysfonctionnements par rapport au bien-être animal : étourdissement inefficace, cadences d’abattage trop rapides ou encore non-prise en compte de la perception des animaux. Le MODEF revendique que les éleveurs puissent avoir un droit de regard et d’un droit d’agir lors de l’abattage de leurs animaux. Face à ces anomalies, il existe des solutions alternatives pour promouvoir la mise en œuvre d’outils d’abattage de proximité en lien étroit avec les paysans, en permettant d’éviter le stress des animaux et de les tuer dans de meilleures conditions de proximité.
La plus grande fierté de ma vie professionnelle est de conduire aujourd’hui avec une cinquantaine d’autres paysans le chantier du pôle « viandes locales » en Limousin, un exemple qu’il m’a semblé intéressant de vous présenter. L’objectif est de réunir sur un même site toutes les étapes qui relient les animaux de nos champs aux produits que nous vendons à nos consommateurs. En France, il est rare que tous les flux soient réunis en un même lieu. On y trouve sur 1 100 mètres carrés un abattoir innovant et des box individuels de maturation destinés à obtenir des conditions atmosphériques sur mesure à chaque carcasse. Nous avons des salles de découpe, de transformation froide en steaks hachés, par exemple, et de transformation chaude pour faire des pâtés, des saucissons et des jambons. Nous avons une zone logistique avec du stockage en froid et en surgelé pour mieux gérer nos stocks. Nous consacrons 10 % de notre budget à un centre pédagogique accolé à l’outil où, sur 160 mètres carrés d’écrans tactiles, le grand public pourra découvrir notre savoir-faire et être sensibilisé à la lutte contre le gaspillage car, aujourd’hui, une vache sur cinq sert à nourrir les poubelles. À l’heure des plats carnés « micro-ondables » et des big burgers à la semelle de viande, nous ferons redécouvrir les viandes paysannes et leurs techniques de cuisson. Une bonne viande est une viande que l’on finit ; c’est aussi cela, le respect de l’animal.
Nous sommes reconnus comme acteur de l’économie sociale et solidaire. Nous fonctionnons comme une coopérative d’utilisation de matériel agricole (CUMA), c’est-à-dire que nos membres ont investi dans des parts. Chaque part leur donne le droit d’occuper un ou plusieurs bouchers-abatteurs pendant un total de dix heures trente. Statutairement, chaque part oblige à verser annuellement une cotisation. Ensuite, chaque paysan emploie son crédit-temps comme il l’entend, un peu à la manière d’un forfait téléphonique à carte prépayée. Nous savons donc dès aujourd’hui qui l’utilisera. Notre planning n’est pas dépendant des éventuels utilisateurs ; il est construit pour être régulier avec les éleveurs qui, dans les circuits courts, ont un rythme de vente prévisible qui ne dépend pas du cours de la viande.
L’abattage, uniquement avec étourdissement, représente 15 % de notre activité, soit une dizaine de vaches par semaine. Comme nous avons remis la lenteur au cœur de notre production et que nous n’avons fait aucune économie d’investissement sur cette activité, nous n’avons pas cherché à la rendre rentable. En revanche, notre modèle économique repose sur l’intégration de toutes les marges de l’aval de la chaîne de production, avec la découpe et la transformation qui, elles, sont bien rémunératrices. L’acte de commercialisation reste à la main de chaque éleveur, car c’est la partie la plus rémunératrice. Ainsi, notre outil autonomise les paysans membres par rapport à toute prestation extérieure.
Comme nous sommes propriétaires et comme nous choisissons comment cela se passe, nous ne restons plus en dehors des murs. Et comme nous travaillons tous en circuit court, nous avons pu imaginer un outil spécifiquement conçu pour les besoins qualitatifs de la filière courte. Par exemple, notre ingénieur de projet a dessiné une bouverie circulaire inspirée des étables des grands chevaux de courses et des plans de Temple Grandin. Nous avons travaillé sur la luminosité pour qu’il n’y ait aucune ombre sur le sol, pour que l’avancée se fasse toujours de manière instinctive du plus obscur vers le plus clair, et pour que l’humain, source de stress, soit le moins visible possible. Nous avons travaillé sur la lutte contre les odeurs avec des rideaux brise-vent et des brumes. Nous avons travaillé sur l’acoustique avec une bouverie en bois aux murs irréguliers pour briser les résonances. Compte tenu de la faible vitesse et la courte distance à traverser – moins de cinquante mètres –, il n’y aura plus besoin d’aiguillons électriques. Nous avons prévu des panneaux circulaires coulissants pour l’avancée, selon le principe de l’horloge. Nous avons également inventé l’observatoire, une pièce vitrée donnant une vue d’ensemble sur le quai de déchargement, la bouverie et le hall d’abattage, qui permet à chaque éleveur de constater par lui-même ce qui se passe avec son animal. Nous avons rapproché au maximum le lieu de l’affalement de celui de la mise à mort afin d’éviter les reprises de connaissance, car on sait que dans cet intervalle, le temps joue de façon exponentielle.
Notre chantier est soumis à une charte éthique et écologique. Nous compensons notre empreinte carbone. Notre bâtiment a été conçu dans le respect des bonnes pratiques bioclimatiques. Il est semi-enterré dans une butte afin d’accroître sa passivité énergétique.
Un élu de l’ancienne culture a pu nous prendre pour des hurluberlus. Nous avons dû faire face à de nombreux a priori sur notre capacité de gestionnaire parce que nous sommes des paysans et que cet outil ne vient pas du monde industriel. Nous en tirons la leçon suivante : c’est justement parce que ce projet vient des éleveurs que nous avons pu bouleverser les habitudes des bureaux d’études agroalimentaires – non sans peine. Nous avons finalement été reconnus « projet industriel d’avenir ». Nous avons même dû rejeter des offres bancaires, car nous avions déjà réuni les 3,3 millions d’euros nécessaires. Dans les circuits courts, comme nous le constatons chaque jour, nous savons que c’est la confiance qui est le socle de l’acte d’achat. Pour nous, la qualité et le goût sont ce qui nous permet de constituer durablement notre clientèle. Par qualité, j’entends la façon dont nous produisons, je ne la réduis pas au seul aspect hygiénique – qui est un préalable. Nous nous inscrivons d’ailleurs dans le cadre des normes ISO 22000.
Je peux témoigner qu’il existe une clientèle demandeuse de ces produits issus d’une pratique plus humaine. Cela représente un nombre d’emplois non négligeable et permet de relocaliser les retombées économiques sur un territoire. Nous n’empêchons personne de manger ce qu’il veut. Nous n’opposons personne. Chacun cherchera les meilleures solutions selon son histoire et ses valeurs. Nous n’avons pas été courageux ; simplement, nous n’avions plus le choix. L’abattoir le plus proche de Bourganeuf est aujourd’hui à plus d’une heure de route. Nous connaissons tout de même un peu en bêtes : nous savons que chaque minute dans un camion est un moment de stress en trop. Nous proposons juste un autre modèle qui répond à un besoin que l’on sent croissant, grâce à des consommateurs qui prennent en main leur acte d’achat.
S’il arrive que nous soyons un peu plus chers, notamment en bio, cela s’explique d’abord par le fait que nous nous ne brumisons pas nos carcasses pour vendre de l’eau au prix de la viande, et que les box de maturation sur mesure permettent à la viande de gagner en tendreté et en goût, quitte à perdre jusqu’à 20 %, voire davantage, du poids de nos carcasses. Les grammes de viande que les consommateurs nous achètent ne vont pas se transformer en eau dans leur poêle ou leur assiette. Nous leur demandons de ne pas changer leur budget, mais de manger quelques grammes en moins et de finir leur assiette plutôt que de nourrir les poubelles. Notre slogan est le suivant : « moins mais mieux, moins mais tout ».
Le MODEF considère que les produits agricoles ne peuvent être classés comme de simples marchandises : ils constituent l’alimentation des hommes et des femmes et recouvrent des enjeux vitaux pour les peuples. L’agriculture elle-même n’est pas un secteur économique ordinaire, que certains voudraient assimiler au secteur industriel. En effet, l’agriculture est porteuse de l’enjeu alimentaire, qui consiste à nourrir les êtres humains en quantité, en qualité et en diversité. Les produits agricoles sont la base de la souveraineté alimentaire des peuples.
Le MODEF formule cinq propositions qui éclairent des points déjà étudiés par votre commission et d’autres, qui pourraient répondre à des enjeux que vous avez soulevés.
Premièrement, nous proposons – contrairement à la Confédération paysanne – l’installation obligatoire d’un enregistrement vidéo chronométré et couvrant trois zones : les quais de déchargement, les bouveries et les halls d’abattage, à condition que la finalité de l’autorisation accordée par la CNIL porte uniquement sur la bientraitance, et que le visionnage soit limité à une commission éthique compétente afin que les images soient analysées collectivement et avec le personnel en vue d’améliorer les erreurs commises.
Deuxièmement, nous proposons d’instaurer une limite d’actes d’abattage par jour et par opérateur, ainsi qu’une limite de tonnage annuel par les services vétérinaires de l’État, en fonction du comportement dans l’abattoir.
Troisièmement, nous proposons de formuler clairement des consignes de soutien aux abattoirs de proximité et de donner les moyens aux agents de l’État de détecter les errements, puis d’agir en faveur de l’amélioration du respect animal.
Quatrièmement, nous proposons de clarifier la réglementation en fixant des objectifs de résultats et non plus de moyens autorisés pour l’étourdissement et l’abattage.
Cinquièmement enfin, nous proposons de créer une labellisation exigeante et sous contrôle de l’État pour les acteurs ayant effectivement mis en place des protocoles visant à réduire le stress et la douleur animale.
En espérant faire avancer par l’exemple tous ceux qui, parmi les acteurs de la filière courte mais aussi de la filière longue, ainsi que les consommateurs, veulent inventer l’abattage de ce nouveau millénaire, il me semble que nous sommes dans le sens de l’histoire, car nous sommes dans le sens de plus d’humanité. Je conclurai en cours remerciant pour les travaux importants que vous conduisez dans le cadre de cette commission.
M. le président Olivier Falorni. Estimez-vous que le maillage territorial des abattoirs de notre pays est suffisant ? Cette question est récurrente, comme celle de la répartition entre grands abattoirs industriels privés et petits abattoirs artisanaux publics. Au-delà des différences de pratiques, jugez-vous ce maillage satisfaisant ? Je sais que c’est là une question importante pour les territoires et pour les éleveurs qui y travaillent. Quelles ont selon vous été les conséquences de la diminution, ces dernières années, du nombre d’abattoirs en France ?
Ensuite, quelle visibilité avez-vous en tant qu’éleveurs de l’abattage des animaux que vous avez élevés ? Nous avons entendu des éleveurs nous dire qu’ils élevaient leurs animaux au quotidien mais qu’ils en perdaient la trace une fois ceux-ci amenés à l’abattoir. Quelle visibilité avez-vous sur la façon dont on abat vos animaux dans les abattoirs où vous les amenez ?
Ma dernière question s’inscrit dans la continuité de la précédente. Nous avons reçu un éleveur qui refuse d’amener ses animaux à l’abattoir et qui les abat à la ferme, de façon illégale. Nous avons entendu de nombreux éleveurs formuler le souhait de pouvoir faire abattre leurs animaux à la ferme. Plusieurs expériences ont déjà été conduites, notamment en Suède, autour de ce que l’on appelle l’abattage mobile ; nous recevrons la semaine prochaine M. Ribière, qui entend importer ce mode d’abattage en France. Avez-vous un avis sur l’abattage mobile comme éventuelle solution alternative dans des territoires ruraux qui sont privés d’abattoirs pour cause de fermeture, sachant que j’ai eu écho récemment encore d’éleveurs ovins qui craignaient de perdre leur appellation d’origine protégée parce qu’il ne se trouvait plus aucun abattoir dans la région ? Je pense en particulier à Mme Jeanine Dubié, qui se bat pour la préservation de l’AOP des Hautes-Pyrénées et qui se trouve confrontée à la fermeture d’un abattoir. L’abattoir mobile, à condition qu’il respecte les normes hygiéniques, sanitaires et environnementales, pourrait-il constituer une solution dans de tels cas particuliers ?
Mme Christiane Lambert. La question de l’insuffisance éventuelle du maillage des abattoirs est récurrente, surtout dans les régions à faible densité d’élevage, soit que l’élevage y ait disparu, soit qu’il y ait toujours été peu important, et que certains agriculteurs souhaitent le réimplanter. On pourrait être généreux et souhaiter des abattoirs partout, mais j’y vois deux difficultés : d’une part, il s’agit d’une activité économique dans laquelle la question de la rentabilité de l’outil se pose quoi qu’il advienne : même lorsque des collectivités se sont parfois très fortement engagées pour soutenir ou réimplanter un abattoir, la question de l’équilibre financier s’est reposée quelques années plus tard. De plus, il faut pouvoir déployer partout des agents vétérinaires capables de vérifier la sécurité, la salubrité et les autres éléments à contrôler en matière de bien-être animal.
Nous savons que le volume des effectifs capables d’effectuer cette mission de service public de surveillance des abattoirs a suscité un débat compliqué. Lors de la présentation de la feuille de route sur le bien-être animal, le 6 avril, M. Le Foll a fait état du nombre de postes qui avaient été supprimés, de ceux qu’il a conservés et de ceux qu’il envisage de créer en 2016 et en 2017. Au regard de la très forte attente de l’opinion et des consommateurs concernant ce qui se passe réellement dans les abattoirs – sujet sur lequel nous faisons par-dessus tout confiance aux services publics et aux directeurs d’abattoirs qu’ils contrôlent –, cette question ne saurait être jugée secondaire. Lors de mes déplacements professionnels, j’ai souvent eu des échanges avec des agriculteurs qui craignaient la disparition d’un abattoir et qui appellaient les collectivités au secours pour l’aider et le renflouer. Le cas se présente souvent, et les élus que vous êtes avez déjà dû en être témoins.
Un compromis peut être trouvé en construisant un outil économiquement équilibré, autrement dit à même de recevoir un nombre suffisant d’animaux et doté de capacités de fonctionnement adéquates. Rappelons que la rentabilité des abattoirs en France est extrêmement faible : elle oscille souvent entre 0 et 2 %, et est parfois même négative. Qui plus est, la modernisation de ces outils pose souvent une véritable difficulté : dans les abattoirs plus modernes, où les équipements de bouverie, du poste d’abattage et de contention ont été régulièrement rénovés, il se pose moins de problèmes liés à des animaux qui échappent au mécanisme ou qui ne sont pas correctement électrocutés. La modernisation des outils et l’équipement en instruments de pointe, avec des capteurs permettant de tenir compte de la différence de taille entre les porcs ou les agneaux, sont autant de facteurs de réassurance. Quoi qu’il en soit, la rentabilité est un élément clé de maintien des outils.
Je sais que le ministre s’est souvent exprimé sur ce sujet, et les opérateurs sont eux aussi confrontés à ce véritable dilemme. Dans ma région, à la limite entre le Maine-et-Loire et l’Indre-et-Loire, un abattoir de proximité a pu être créé parce qu’il a été soutenu par les chambres d’agriculture, qui accompagnaient concomitamment le développement de productions de petits animaux – principalement des volailles, des agneaux et des porcs – apportant les flux nécessaires pour maintenir la rentabilité de l’établissement. Autrement dit, il faut mener une réflexion globale à l’échelle du territoire, en prenant des engagements économiques en termes de volume. En l’occurrence, le projet a pu aboutir parce qu’il a été porté par des agriculteurs extrêmement engagés ; mais personne ne peut garantir que de telles exploitations resteront rentables dans vingt ans. C’est une véritable difficulté qui ne laisse aucune place aux incantations.
J’en viens à votre question sur notre visibilité de l’abattage. En tant qu’agricultrice, je n’assiste pas à l’abattage en abattoir de chacun de mes animaux. Je livre des animaux et j’ai confiance en l’outil auquel ils sont destinés. J’ai la possibilité, comme me le proposent mon groupement et ma coopérative, d’assister in situ à l’abattage d’un lot complet – et non pas seulement d’un animal –, afin d’appréhender l’ensemble des séquences que traverse l’animal depuis la bouverie jusqu’à la mort. Il demeure toutefois indispensable que nous puissions avoir confiance dans la manière dont il est abattu. C’est là que le service public vétérinaire en abattoir joue un rôle déterminant. Il en va de même pour l’alimentation : lorsque j’achète une côte de bœuf ou une boîte de petits pois, je n’effectue pas une vérification contradictoire de la sécurité sanitaire de l’une ou de l’autre. Dans ce domaine, il faut pouvoir travailler en confiance. À titre personnel, je fais confiance à l’outil qui se trouve en aval – non pas seulement parce que nous avons un élevage de 230 truies, ce qui suppose un grand nombre de porcelets à contrôler. Il est donc essentiel de rétablir cette nécessaire confiance.
Il nous arrive de tuer un animal à la ferme. Ce n’est pas un acte anodin, et je suis certaine que nous l’effectuons moins bien que les professionnels du secteur, parce que nous ne possédons pas toujours le même matériel et le même savoir-faire, parce que le couteau n’est peut-être pas parfaitement aiguisé ou parce que l’animal bouge plus. Cela étant, j’ai pu constater lors des abattages auxquels j’ai assisté que si l’électronarcose est correctement effectuée et que la pince est bien appliquée derrière les oreilles des porcs, et si le coup de couteau est donné au bon moment, la saignée génère un flux de sang extrêmement rapide et le relâchement avec perte de connaissance se produit dans les douze secondes. Ces images sont difficiles à voir pour un éleveur, mais il faut entendre le passage de la vie à la mort comme tel. L’abattoir n’est pas un lieu que j’affectionne particulièrement ; j’en préfère d’autres. Mais le fait de savoir la mise à mort est rapide et que l’employé qui intervient est capable d’expliquer son geste me rassure.
Je ne souhaite pas que les associations de protection des animaux remplacent les services publics, contrairement à ce que souhaitent certaines d’entre elles. Ce sont les services publics qui sont les premiers compétents. D’ailleurs, certaines de ces associations n’ont pas toujours une connaissance parfaite des animaux, de leur cycle, de leur sociologie, même si elles peuvent l’acquérir : de ce point de vue, les échanges sont bénéfiques. Nous n’avons donc pas une visibilité sur chaque animal, mais une visibilité générale qui repose sur la confiance.
J’en viens enfin à l’abattage mobile. J’ai pu visiter dans les Bouches-du-Rhône un élevage familial d’environ 600 ovins. Lors de la fête de l’Aïd, les exploitants reçoivent une demande importante d’agneaux, mais l’abattoir est éloigné, et de nombreux musulmans souhaitent choisir leur agneau à la ferme même. Les exploitants ont donc réfléchi avec la chambre d’agriculture et la DDPP à l’installation d’un site d’abattage mobile et provisoire à la ferme, étant entendu qu’ils en gèrent toutes les étapes au mieux, y compris celle de la gestion des déchets, toujours délicate à la ferme et dont il ne faut pas négliger l’importance, tant la sécurité sanitaire est essentielle. Accompagné par les techniciens de la chambre d’agriculture et du service public, cet agriculteur a bâti cette installation qui donne satisfaction tout à la fois aux acheteurs et aux services publics, qui l’ont validée. Cela ne s’est pas fait à la légère : il a fallu trois ans de travail. Si un tel abattage mobile semble envisageable pour des petits animaux, il est plus difficile à concevoir pour de grands animaux comme des bovins, qui pèsent huit cents à mille kilogrammes, ou des chevaux. Il n’existe sans doute pas de recette unique. En outre, il faudra un énorme effort de formation des agriculteurs eux-mêmes pour qu’ils puissent appréhender cette activité. À mon sens, l’élément clé est la gestion de la sécurité sanitaire, tant le moindre pépin peut s’avérer dramatique en termes d’image et de retombées.
M. Laurent Pinatel. Nous manquons d’abattoirs de proximité mais aussi d’inspecteurs sanitaires dans les abattoirs existants.
Dans le département de la Loire, quand l’abattoir de Saint-Étienne, un ancien abattoir municipal, a été privatisé, le premier souci du groupe qui l’a racheté a été de le rentabiliser : il a donc supprimé les chaînes porc et mouton qui ne rapportaient pas suffisamment. Les éleveurs et les bouchers ont réalisé un gros effort, coordonné par la chambre d’agriculture de la Loire, en vue de recréer un abattoir de proximité pour les petites espèces, porc, veau et mouton, afin de servir le marché local. Mais cet abattoir n’est pas rentable ; c’est le conseil régional de Rhône-Alpes, sous l’impulsion de Jean-Louis Gagnaire, à l’époque vice-président en charge des questions économiques, qui a pris en charge une partie de l’investissement et des frais de fonctionnement.
L’alimentation n’est pas un bien industriel comme les autres : c’est un bien commun. Faut-il absolument tout rentabiliser, attendre systématiquement un retour d’investissement, ou bien considère-t-on que le bien-être animal est important, qu’il n’est peut-être pas nécessaire de transporter les animaux sur des kilomètres et des kilomètres, qu’une structure de proximité peut permettre un abattage de meilleure qualité, une meilleure valorisation de la carcasse, une gestion des déchets plus facile ? Si ces questions sont jugées prioritaires, il faut alors admettre que de l’argent public peut venir compenser la non-rentabilité de ces outils. Nous sommes attachés à un maillage plus dense du territoire en termes d’abattoirs. La disparition des structures pose la question de l’externalisation des coûts – davantage de transport – et des dynamiques locales. Quand l’abattoir de Saint-Étienne a fermé, par exemple, les bouchers de la commune qui achetaient du porc à la ferme et le transformaient dans leurs boucheries ont dû acheter du porc en carcasses. L’acheter où ? Peu importe…
Il y a un manque de transparence dans les abattoirs. M. Bigard dit qu’il n’est pas question d’aller voir chez lui ; mais s’il n’a rien à se reprocher, qu’est-ce que cela lui coûte d’ouvrir son abattoir ? La confiance et la transparence vont de pair.
La Confédération paysanne a beaucoup travaillé sur les alternatives à l’abattage industriel : l’abattage de proximité mais aussi l’abattage à la ferme avec des abattoirs mobiles. C’est quelque chose de compatible avec le paquet Hygiène européen, les règles sanitaires et le bien-être animal. L’expérience de la Suède montre que c’est parfaitement possible. D’ailleurs, le dernier gros scandale de la viande, Spanghero, ne concernait pas un abattage à la ferme…
M. Bertrand Venteau. En ce qui concerne le maillage territorial, une bonne densité, selon nos estimations, correspondrait une distance de 100 kilomètres entre l’élevage et l’abattoir.
La chambre d’agriculture du Lot-et-Garonne a repris un abattoir. Cela montre qu’une chambre consulaire peut reprendre des outils économiques. Nos abattoirs vieillissent et font l’objet de restructurations. On peut attendre beaucoup des pouvoirs publics, mais il faut aussi que les agriculteurs, y compris dans l’économie sociale et solidaire, investissent ; même si l’abattage ne gagne pas d’argent directement, il permet un maintien de l’activité dans les territoires et une dynamique de production. Sans abattoir pas d’éleveur et sans éleveur pas d’abattoir. Si l’on ferme les abattoirs, comme le demande le mouvement végan, nous n’aurons plus d’élevage, alors que nous avons été, même si nous sommes en perte de vitesse, le premier pays européen en termes de production animale.
En ce qui concerne la visibilité, la réponse est que cela dépend des productions. Il est difficile de suivre les animaux pour quelqu’un qui fait du porc industriel, par exemple ; de même pour les poulets qui partent à la chaîne. Et plus l’abattoir est éloigné, plus l’éleveur a du mal à aller voir les animaux. Tout est lié ; la restructuration des abattoirs a aussi une conséquence à ce niveau. Pourtant, il est toujours intéressant de voir ses animaux à l’abattoir, ne serait-ce que pour voir s’il répond aux besoins de la filière.
Nous ne sommes pas forcément hostiles aux abattoirs mobiles, là où le maillage n’est pas évident, dans des zones extrêmement reculées, des contextes de circuits courts, s’il n’y a pas moyen de maintenir un abattoir fixe ou d’en créer un.
M. Jacky Tixier. Il y a longtemps que le MODEF déplore que le nombre des petits abattoirs de proximité se réduise de plus en plus. Nous avons organisé un groupe d’une cinquantaine d’éleveurs parce que nous sommes en circuit court et que les abattoirs ont disparu les uns après les autres, à Limoges, et même dans la Creuse, précisément là où il y a le plus de vaches allaitantes. C’est proprement lamentable : il faut parfois aller jusqu’à deux cents kilomètres… Pour emmener mes bêtes à l’abattoir, je vais au plus près, ce qui représente 150 kilomètres aller-retour. Ce n’est pas négligeable, y compris en termes de stress animal. Il faut des abattoirs de proximité, mais sans exagérer pour autant : disons qu’il faut faire ce qu’il faut au regard du nombre d’animaux sur un territoire donné, et aussi des perspectives de vente : je sais bien que tout le monde ne peut pas faire de la vente directe mais c’est quelque chose qui fonctionne. Encore faut-il mettre en place les outils qui permettent aux agriculteurs de réaliser ce genre de commercialisation.
C’est moi qui emmène mes animaux à l’abattoir car nous sommes équipés – précisément parce que nous pratiquons beaucoup la vente directe à la ferme, qui représente 80 % de notre production – d’un camion adapté. Emmener ses animaux n’est pas sans créer des soucis, et on pense aussi au fait que la bête va se faire tuer. Mais si la bête est tuée correctement, je n’y vois aucun inconvénient. Encore faut-il que le travail soit bien fait. Ce qu’on voit sur les vidéos est tout à fait lamentable. Personne ne peut accepter cela.
Quand nous avons commencé à réfléchir à un pôle viande en Creuse, un projet soutenu par la chambre d’agriculture, nous nous sommes rendus à l’étranger, en Suisse, en Autriche, pour aller voir les abattoirs mobiles autrichiens, qui fonctionnent bien. Ce n’est pas autorisé en France mais, si les règles d’hygiène et de sécurité sont suffisamment claires, nous n’y sommes pas hostiles.
Vous avez parlé d’un éleveur qui abattait chez lui…
M. le président Olivier Falorni. Nous avons reçu un éleveur, M. Dinard, qui nous a expliqué qu’il ne souhaitait pas conduire ses animaux à l’abattoir, par conviction, et qu’il les abattait donc chez lui, illégalement. Par ailleurs, des élus locaux me font part de la difficulté d’éleveurs bénéficiant d’une AOP de remplir, faute d’abattoirs, un des critères, qui est que l’animal soit abattu sur place. Ma question vise donc à savoir si l’abattoir mobile peut être une solution pour permettre cet abattage sur place.
M. Jacky Tixier. Oui, ce pourrait être une solution ; en attendant, il est illégal en France d’abattre des animaux chez soi.
M. Jacques Lamblin. Votre exposé, monsieur Tixier, sur ce que vous avez entrepris avec vos collègues, était très convaincant. Votre système est-il à peu près à l’équilibre financier ? Car votre présentation est très intéressante…
Selon vous, Monsieur Pinatel, les abattoirs de proximité, de petite taille, et plutôt de service public, seraient davantage susceptibles d’apporter des solutions que les grands établissements industriels. Or les différentes vidéos que nous avons vues sont toutes réalisées dans de petits établissements, publics pour la plupart. N’est-il pas permis de penser que les établissements de plus grande taille permettent une rationalisation de l’organisation du travail, ont davantage de moyens financiers pour l’aménagement de la chaîne d’abattage et sont paradoxalement plus à même d’éviter toute souffrance inutile ?
M. Jacky Tixier. Nous savons tous que l’abattage n’est jamais rentable…
M. Jacques Lamblin. Certes, mais l’écart avec un système classique est-il important ?
M. Jacky Tixier. Justement non. Peut-être sommes-nous un centime ou deux plus chers au kilo de carcasse, précisément pour des raisons d’équilibre financier. Les agriculteurs achètent des parts. Nous avons calculé que notre système était dans les clous, en sachant que nous sommes évidemment obligés de récupérer sur la transformation. En complément, nous irons chercher les porcs chez nos agriculteurs pour les transformer et les vendre au nom du pôle viande. Cela nous permettra d’équilibrer notre budget. Pour plus de renseignements, je remettrai à votre rapporteur une lettre ouverte que nous avons rédigée, et vous pouvez toujours adresser d’autres questions directement à notre président ou à notre ingénieur de projet.
M. Laurent Pinatel. Personne, Monsieur le député, ne sait ce qui se passe dans les abattoirs industriels : les gens qui tournent des vidéos n’y sont jamais entrés…
Il ne nous semble pas qu’un modèle doive prendre le pas sur l’autre ; il faut simplement accompagner les alternatives aux grands abattoirs, dont les abattoirs de proximité, auxquels il faudra inévitablement accorder davantage de moyens financiers. Nous voyons bien, en effet, notamment sur les vidéos, que ces structures ont des problèmes d’équipement et de mauvais fonctionnement des parcs de contention et des outils d’abattage. J’en reviens à ce que je disais sur l’accès aux subventions pour la modernisation et la mise en conformité : le ticket d’entrée à 1 million d’euros de FranceAgriMer exclut de fait les plus petits abattoirs. Par ailleurs, en ce qui concerne le bien-être animal, la proximité limite l’effet du transport. Enfin, en guise de mise en perspective, il existe en France environ 280 abattoirs, alors que l’Allemagne en compte 3 500…
M. Jacques Lamblin. Le mot de « confiance » que vous avez utilisé, Madame Lambert, est très important. Les attaques médiatiques sapent la confiance qu’inspire encore la filière agroalimentaire française, particulièrement la viande.
Mme Christiane Lambert. Pendant longtemps, certains ont pensé que les attaques portaient seulement sur les grands abattoirs, comme elles portent, très souvent, sur les grands élevages, avec une idéalisation du small is beautiful. Or, dans les grands élevages, la question du bien-être animal est appréhendée dès le stade de la construction, et il est bien plus facile de l’intégrer à ce moment-là que d’adapter des bâtiments existants. De même, les enquêtes montrent que les abattoirs où les équipements sont modernes et les cadences appropriées peuvent être de grande, moyenne ou petite taille ; c’est en réalité plus une question de management et d’état d’esprit que de taille.
Si l’association végan s’attaque aux petits abattoirs, ce n’est pas anodin ; c’est parce que, dans le subconscient des consommateurs français, la viande, comme le vin, du petit producteur est quelque chose de rassurant, de même que le bio, même si cela peut paraître irrationnel. S’attaquer à des abattoirs de petite taille, dont un certifié ECOCERT, est une façon de saper la confiance des Français : les cibles ont été choisies à dessein. Les mêmes personnes avaient visité de grands abattoirs, comme à Cholet en Maine-et-Loire, des abattoirs appartenant à M. Bigard, et n’avaient pas trouvé de choses invraisemblables. Leur slogan : « Il n’y a pas de viande heureuse » tourne autour de ce thème : derrière tout animal, même bio, il y a la mort. L’idée est de parler de tuerie et non d’abattage, pour choquer. Je lis beaucoup de leurs publications, ayant la responsabilité de ce dossier à la FNSEA et cherchant à comprendre leurs motivations. La vraie finalité, c’est de rompre avec la consommation de viande, une consommation qui, en France, tient à notre culture, notre histoire, notre tradition : le cassoulet de Castelnaudary, l’agneau de pré-salé, le bœuf bourguignon, la poule au pot d’Henri IV… Nous avons des traditions régionales où la viande est très présente. L’homme est un omnivore, mais il a une mâchoire de carnivore : nos canines et molaires servent à manger de la viande, même si nos jeunes s’en servent un peu moins en mangeant beaucoup de viande hachée…
C’est un choc de cultures. L’insistance de ces associations à trouver chaque fois quelque chose de nouveau montre bien que leur finalité n’a rien à voir avec le bien-être des animaux. Il est nécessaire de conduire le travail d’enquête de cette Commission pour garantir aux 97 % de Français qui mangent de la viande que l’on peut en manger en confiance, que les animaux ont été respectés de leur naissance à leur mise à mort, afin de ne pas prêter le flanc à ceux qui poursuivent un tout autre objectif.
Les éleveurs qui se rendent eux-mêmes à l’abattoir le vivent parfois difficilement. Quant aux salariés, ils sont soumis au stress de la mort donnée toutes les secondes ou toutes les deux minutes, mais c’est une confiance qu’on leur délègue, plus qu’une tâche dont on se décharge. Ne nous trompons pas de sujet. Or votre commission est sur le bon sujet. Il convient de restaurer la confiance des Français qui ont du plaisir à manger de la viande.
M. William Dumas. Vous avez indiqué, Monsieur Tixier, que vous parveniez à peu près à l’équilibre financier. Mais dans les circuits courts de la filière viticole, alors que la filière aujourd’hui marche bien, les gens ne sont pas encore gagnants, contrairement à ceux qui vendent, comme on le dit un peu vulgairement chez nous, au cul de la citerne. Mais le jour où survient une crise, les circuits courts sont incontestablement la réponse, et sont rentables.
Vous avez dit abattre une dizaine de bovins par semaine. Vous n’abattez que du bovin ?
M. Jacky Tixier. Non, nous faisons du multi-espèces : ovins, caprins, porcs et bovins.
M. William Dumas. Quel est votre tonnage à l’année ?
M. Jacky Tixier. Notre objectif est de 500 tonnes ; pour l’instant, nous en sommes entre 250 et 300 tonnes.
M. William Dumas. Et vous parvenez à l’équilibre. Je vous la pose cette question car j’ai dans ma circonscription un abattoir, au Vigan, qui a été pris pour cible par L214. C’est un abattoir comme le vôtre, qui sert environ 200 éleveurs, dans une zone classée au patrimoine mondial de l’UNESCO, les Causses. Il n’y a peut-être pas comme dans votre projet une salle vitrée d’où l’on peut voir tout ce qui se passe…
M. Jacky Tixier. C’est en construction.
M. William Dumas. Cet équipement public, repris par la communauté de communes, était déficitaire au départ et est aujourd’hui à l’équilibre. Ils ont réalisé l’an dernier 6 000 euros de bénéfices alors qu’ils étaient à 50 000 euros de déficit au moment de la reprise. La Cour des comptes était même venue à la suite d’une enquête de la sous-préfète sur ce déficit. Ils sont parvenus à l’équilibre car ils ont diminué leur tonnage, après avoir laissé partir un client qui abattait sept à huit cents tonnes de cochon, qui travaille aujourd’hui avec l’abattoir d’Alès : ils s’étaient aperçus que cette activité leur coûtait en fait de l’argent. Votre système est peut-être plus cher mais vous vous y retrouvez, dans le circuit, avec votre clientèle, à qui vous vendez un produit certifié et qui peut venir voir à la ferme comment sont élevés les animaux.
Il manque, comme le dit M. Pinatel, des abattoirs. Le maire d’Alès, où se trouve le second abattoir de ma circonscription, nous a dit qu’il abattait quelque 5 000 tonnes, dont 50 % en rituel. Si l’abattoir ferme, les gens seront obligés de se rendre à Valence, à plus de 150 kilomètres. Or cet abattoir perd entre 300 000 et 500 000 euros par an, ce qui est énorme. Après la vidéo de L214, des investissements ont été programmés, de l’ordre de 400 000 à 500 000 euros. La région et le département viendront certainement à son aide, mais il est incontestable qu’il sera, dans certains endroits, difficile de parvenir à l’équilibre.
Ce qu’a fait votre chambre d’agriculture, Monsieur Venteau, en reprenant un abattoir, est bien. Dans des zones comme les Cévennes, où je mets trois heures de route pour aller d’un bout à l’autre de ma circonscription, il faut incontestablement des abattoirs de proximité.
Madame Lambert, vous avez parlé d’abattoirs mobiles au moment des fêtes de l’Aïd. Nous en avons quelques-uns. Un de nos collègues nous a même appris qu’il en avait un à Sarcelles… Bref, cela existe déjà et ça peut fonctionner. Vous n’êtes pas tous d’accord sur le sujet. C’est une question que nous nous posons. Dans certains pays, cela se passe bien, dans d’autres moins bien. Notre ministre, que nous avons interrogé, n’y semble pour l’instant pas très chaud… Il faudra sans doute expérimenter.
Les gros abattoirs sont souvent spécialisés, avec des chaînes qui n’abattent que de la vache ou que du porc. Je lisais hier dans Le Monde un article sur un abattoir en Côtes-d’Armor, où un porc est abattu toutes les cinq secondes. Ce sont des cadences infernales. On parle beaucoup aujourd’hui du bien-être animal – qui me semble mieux pris en compte qu’auparavant – mais peu du bien-être humain, c’est-à-dire des gens qui travaillent dans ces abattoirs, dont les tâches sont répétitives et qui souffrent de problèmes articulaires. On ne parle pas non plus de la filière économique, alors que ce sont les petits éleveurs qui assurent l’entretien du paysage. Les agriculteurs et les éleveurs sont les premiers jardiniers de l’espace. Il faut savoir ce que l’on veut.
L214 n’est pas ma tasse de thé, et ce depuis longtemps. Au salon de l’agriculture, les enfants de la capitale qui vont voir les petits cochonnets et les autres bêtes ont souvent des animaux de compagnie ; il en résulte un amalgame entre l’animal de compagnie et l’animal d’abattage. C’est aussi pour cette raison que ces vidéos choquent terriblement.
Cela m’a en tout cas fait plaisir d’entendre aujourd’hui tous les représentants de la profession. Il est important d’avoir votre avis.
Mme Sylviane Alaux. J’étais à deux doigts d’étrangler mon collègue…
M. le président Olivier Falorni. Sans étourdissement ? (Sourires.)
Mme Sylviane Alaux. Plus sérieusement, je partage, Monsieur Venteau, votre point de vue quand vous dites que, si l’animal est mal élevé et mal abattu, la viande n’est pas bonne, et c’est pourquoi je m’interroge sur la qualité de la viande des élevages et abattages industriels, que je dénonce toujours. En tant que consommatrice, je suis convaincue que l’élevage industriel n’offre pas au consommateur un bon produit.
Je suis également convaincue que l’abattoir est par nature un lieu de souffrance, dans la mesure où l’on y donne la mort. Tout doit donc être fait pour minimiser la souffrance de l’animal. Je ne suis pas végétarienne et je ne pense pas que je le serai devenue au terme des travaux de cette Commission d’enquête, même si j’ai maintenant quelques interrogations sur la côte de bœuf ou de porc dans mon assiette.
En vous entendant les uns et les autres, j’ai eu le sentiment que vous vous défendiez plutôt que d’affirmer ce que vous êtes. Il n’y a pas de suspicion de notre part mais cette Commission et les images de L214 nous mettent face à nos contradictions. Nous aimons la bonne côte de bœuf, nous aimons voir le petit veau qui gambade dans le pré, mais il ne faut pas occulter que ce que nous achetons au supermarché n’est pas toujours issu du petit veau dans la prairie… Je dénonce les élevages industriels, dans lesquels la dignité de l’animal n’est pas du tout respectée. Gandhi disait que l’on mesure le degré de civilisation d’un peuple à la manière dont il traite ses animaux…
Notre commission a un rôle d’investigation et, quand nous avons la chance d’avoir devant nous un large panel d’éleveurs, nous sommes aussi demandeurs de suggestions. Vous êtes à cet égard allés très loin dans ce que je demande en tant que consommatrice, et je vous en remercie. Je suis pour ma part favorable à la vidéosurveillance pour peu qu’elle soit bien encadrée. Nous sommes déjà surveillés de partout ; un petit peu plus, un petit peu moins, on ne s’en rendra sans doute pas compte. D’autres professions connaissent déjà la vidéosurveillance : les employés de banque ou de joaillerie sont en permanence sous vidéosurveillance dans leur activité.
Tous ensemble, éleveurs, consommateurs, abattoirs, nous pouvons retrouver un bon consensus dès lors que nous ne perdons pas de vue quatre points essentiels : le bien-être animal, le bien-être des salariés, la sécurité du consommateur et la préservation de l’environnement. Ces quatre points sont indissociables les uns des autres et doivent rendre possible une autre façon d’appréhender ces métiers.
M. Bertrand Venteau. Juste une précision : l’un des premiers pays exportateurs de bœuf au monde est l’Inde…
Mme Sylviane Alaux. Cela n’enlève rien aux paroles de Gandhi. Il était peut-être végétarien, je ne l’ai pas vérifié, mais nous devrions en tout cas nous inspirer de cette phrase car c’est une réalité. Il y a quelques années, on arrachait l’œil du lapin, on sectionnait le gosier du poulet. Je l’ai vu faire et cela a soulevé mon indignation de défenseure des animaux, mais cela ne m’a pas empêché de manger du poulet. Je fais partie d’un groupe d’étude contre la maltraitance animale – ceci explique sans doute cela. Nous devons rendre à l’animal sa dignité. Nous l’élevons certes pour le manger mais cela peut se faire sans souffrance inutile.
Mme Christiane Lambert. Je suis surprise que vous nous trouviez sur la défensive, car ce que j’ai présenté est tout le contraire. À la suite de la médiatisation de certains événements, des questions sont posées, certaines fondées, d’autres non, et parce que nous avons entendu beaucoup de choses, nous avons souhaité prendre la parole, de manière non défensive mais pédagogique, comme si nous ouvrions les portes de nos exploitations pour montrer ce qui s’y passe vraiment.
La réalité de ce que consomment les Français aujourd’hui est loin de l’idéalisation de la belle et gentille agriculture… Acheter des produits d’alimentation dans un grand supermarché ou un hypermarché, ce n’est pas forcément moins bien que dans un petit supermarché ou une supérette de village, de la même manière que, lorsqu’on fait réparer sa voiture dans un grand garage, il n’est pas certain que l’on soit moins bien servi que dans un petit. L’opposition du grand et du petit que vous entretenez est un peu ennuyeuse car elle n’est pas fidèle à la réalité.
Faisons attention également à ne pas entretenir, à travers des mots dits de façon très soft, une opposition entre ce qui est bien et ce qui ne le serait pas. Il y a toutes sortes de consommateurs. Certains ont un pouvoir d’achat « plus plus plus », d’autres « plus plus », d’autres encore n’ont pas d’emploi et ont besoin de manger à peu de frais. Le coût de l’alimentation est aussi un élément de choix. Une enquête de la Commission européenne montre que 1 % des gens seulement demandent à être renseignées sur les conditions d’élevage. Le chiffre est peut-être un peu plus élevé en France en ce moment, mais la diversité des consommateurs explique la diversité de la production. Le prix est également un élément décisif : le déclaratif est une chose, la réalité de l’acte d’achat en est une autre. Les produits élevés plus longtemps dans des conditions plus sophistiquées ont nécessairement un coût supérieur. Je ne mange pas moi-même la même chose en semaine et le week-end quand je reçois des amis. Cette diversité de l’offre doit être préservée.
Il ne faut pas non plus laisser circuler l’idée, largement diffusée par certaines organisations, que le bien-être animal n’est pas assuré dans les grands bâtiments. Des enquêtes montrent que les bâtiments de taille importante, quand ont bien été appréhendés les paramètres de la lumière, de la chaleur, de la climatisation, permettent d’élever les animaux dans des conditions de bien-être.
J’ai élevé des porcs en plein air dans le Cantal. Je peux vous assurer qu’ils n’étaient pas en condition de bien-être, ni l’été, en cas de canicule, car ils avaient tous des coups de soleil sur le dos, ni l’hiver car à cause de la boue et du bel, les truies avaient toutes des gerçures aux tétines et, au moment de la tétée des porcelets, elles se levaient très vite en criant parce qu’elles avaient très mal. Dois-je vous faire un dessin ? La réalité est parfois bien loin des images qui peuvent être véhiculées ici ou là. Élever des porcs en bâtiment, ce n’est pas les élever dans la souffrance. Les équipements dont nous disposons permettent de leur offrir des conditions de bien-être tout à fait correctes.
La France est probablement le pays qui a poussé le plus loin ce concept, en l’encadrant. Quand M. Le Foll a initié en 2014 le travail sur la feuille de route « Bien-être animal », finalisé en avril, notre pays a été l’un des premiers à le faire. On parlait à Bruxelles d’une loi-cadre sur le bien-être animal. Je ne sais pas s’il faut une loi, mais à la suite d’un engagement ayant donné lieu à deux ans de dialogue positif entre les parties prenantes, ONG et agriculteurs, on peut dire que l’élevage en France est aujourd’hui de qualité, car la puissance publique a fait en sorte que des règles soient respectées mieux qu’ailleurs. Pour avoir visité des feed lots au Brésil, je peux vous assurer que ce n’est pas du tout la même façon d’élever des animaux, en termes d’alimentation ou de conditions de logement.
Nous avons un niveau d’exigence élevé ; il faut aussi être volontaire pour maintenir les éleveurs sentinelles, les vétérinaires experts, les techniciens conseillers dans une chaîne vertueuse, une démarche de progrès. Depuis que nous avons conduit ce travail, la filière cheval vient d’élaborer une charte bien-être en élevage équin. La filière volaille y réfléchit pour requalifier, dans la production d’œufs, tous les bâtiments dans les huit ans, alors que la majorité d’entre eux ne sont pas encore amortis. Il faut du temps pour réaliser ce saut qualitatif, mais nous sommes au travail. Il est important de parler pour dissiper les jugements partiels ou partiaux. Visiter des élevages est également utile : je peux vous montrer de grands élevages qui sont à la pointe du respect de la santé des personnes qui y travaillent et des animaux.
L’abattage mobile, oui, mais n’oublions pas que la grande majorité de l’abattage continuera de se faire dans des abattoirs. D’où l’importance que le travail de cette Commission débouche sur des propositions pour que soit assuré le maximum de transparence dans les grands abattoirs, avec des cadences convenables.
Mme Sylviane Alaux. Le coût de la viande en supermarché permet certes à des familles modestes de manger mieux et de façon plus diversifiée. Pour ma part, je suis membre de l’association pour le maintien d’une agriculture paysanne (AMAP), où je côtoie beaucoup de familles modestes – je suis moi-même issue d’une famille modeste. Les gens s’abonnent, pour la volaille, la viande rouge, les œufs, le fromage, en plus d’un panier de légumes toutes les semaines. Je vous assure que cela permet une réelle économie à la fin du mois, tout en assurant une alimentation de qualité.
M. Jean-Yves Caullet, rapporteur de la Commission d’enquête. Nous avons bien noté la nécessité d’une approche intégrée de la filière, dont vous êtes l’amont. Toute segmentation des modes de production, dès lors qu’elle s’accompagne d’une répartition inégalitaire de la valeur, crée des problèmes. Il est important de le faire ressortir, car quand on parle de petits, de grands, de nécessité d’investissements, de difficultés d’équilibre, c’est toujours à ce problème que l’on touche. Quand une collectivité ou un établissement public vient en soutien, on pallie un déséquilibre, mais il faut bien avoir à l’esprit la nécessité que chacun, de l’éleveur au consommateur, rémunère les fonctions qu’il délègue pour se nourrir sur l’ensemble de la chaîne.
Il est apparu dans nos auditions que les contrôles en abattoir étaient asymétriques entre l’aspect sanitaire et celui du bien-être animal. Historiquement, le bien-être animal est une préoccupation plus récente que le sanitaire. Vous semblerait-il utile qu’un contrôle spécifique soit organisé ? Ce n’est pas la même chose d’examiner chaque carcasse ou l’ante mortem des animaux sur le plan sanitaire et de contrôler les installations et les outils. Que les deux contrôles soient exercés par les mêmes personnes n’est-il pas responsable de la relative relégation du bien-être animal dans la hiérarchie des priorités et ne faudrait-il pas dès lors prévoir un contrôle spécifiquement dédié, dans lequel pourrait d’ailleurs être intégrée la vidéo ? Dans une entreprise de transports où j’ai travaillé, ce sont les salariés eux-mêmes qui déclenchent le rétro-enregistrement de la séquence de l’heure précédant un incident. La suspicion que traduit la présence permanente de caméras peut être problématique, même si certaines professions y sont déjà habituées, mais se priver de ce mode de preuve, de démonstration, de dénonciation aussi de certains dysfonctionnements, peut être dommage : lorsqu’un matériel ne fonctionne pas, si l’agent ou le CHSCT peut le prouver aux yeux de sa direction, c’est aussi un atout au bénéfice du salarié.
Historiquement, les abattoirs ont été construits pour que les gens ne voient pas l’acte d’abattage. On s’aperçoit à présent que cela coupe les gens de la responsabilité de leur acte de consommation. Seriez-vous prêts, en tant qu’organisations syndicales, à participer à des commissions locales d’information et de surveillance des abattoirs, aux côtés des consommateurs, des professionnels, des services de l’État, en vue de promouvoir une transparence organisée, plutôt que d’avoir affaire à des vidéos sauvages ?
M. Jacky Tixier. Il faut que la vidéosurveillance soit contrôlée. Nous ne voulons pas que ce soit un moyen de pression sur les salariés, et il faut donc que cela se passe dans un régime d’autorisation de la CNIL, avec la participation de tous les opérateurs. Ce serait plutôt une forme d’autosurveillance, sur les outils, la contention des animaux, etc. Il n’est pas acceptable qu’un opérateur soit obligé, à cause d’une mauvaise contention, de faire des choses un peu limites pour assommer l’animal. Il faut travailler autrement, immobiliser l’animal correctement, avec une mentonnière. Dans le pôle viande que nous créons, nous allons dépenser un peu plus d’argent pour les box, de façon à mieux travailler sur l’assommage des animaux car, si l’animal n’est pas bien contenu, le travail devient en effet une vraie boucherie. Pourquoi pas une vidéosurveillance à cet endroit ? Nous y sommes favorables, non pour « fliquer » les opérateurs, mais pour faire avancer les choses, dans le cadre d’une autosurveillance.
M. Bertrand Venteau. Nous sommes pour notre part opposés à la vidéosurveillance qui risque de n’être qu’un palliatif au manque de moyens du sanitaire et des services de l’État dans les abattoirs.
M. le rapporteur. La vidéosurveillance peut être à la main des services de l’État. Cela a été évoqué dans d’autres auditions.
M. Bertrand Venteau. L’idée est bonne, mais j’ai des craintes sur la déclinaison. Et s’il faut en plus créer une nouvelle commission… Les responsables syndicaux que nous sommes savent par expérience que commissions et simplification ne font pas bon ménage.
M. Laurent Pinatel. L’idée de commissions locales d’information rejoint la demande de la Confédération paysanne de favoriser les synergies, créer un dialogue entre acteurs à l’intérieur des abattoirs et au dehors, notamment sur les parcs de contention, où il peut être intéressant de croiser le regard de ceux qui travaillent dans les abattoirs avec l’expertise des éleveurs. Nous sommes très attachés à la présence d’éleveurs dans les commissions locales.
J’ai déjà expliqué les raisons pour lesquelles nous sommes opposés à la vidéosurveillance.
L’alimentation, ce n’est pas comme de produire des pièces de voiture. Cela ne se produit pas de la même façon dans les grands et dans les petits élevages ; la qualité de la viande n’est pas la même à l’issue d’une chaîne très industrialisée que dans des unités plus petites. Nous savons qu’il y a des gens qui ont des problèmes de pouvoir d’achat dans ce pays, mais nous sommes assez horrifiés d’entendre qu’il faut une agriculture industrielle pour nourrir les pauvres, et que ceux-ci devront s’en contenter… Nous préférons nous poser la question : comment rééquilibrer les soutiens publics en direction d’une alimentation de qualité accessible à tous ?
Mme Christiane Lambert. Je ne sais pas si je suis pauvre ou riche, mais il m’arrive de manger de l’alimentation industrielle et de bien m’en porter…
En ce qui concerne les commissions locales d’information, j’ai proposé de développer le dialogue entre éleveurs, salariés et, probablement aussi, responsables d’abattoir sur la conception et la réorganisation. Cela s’est déjà produit sur un sujet au cœur de débats difficiles ces deux dernières années, à savoir la question de la propreté des animaux, notamment des bovins, qui étaient parfois livrés aux abattoirs avec des traces de terre ou de déjection sur les pattes ou les cuisses, et des problèmes sanitaires que cela pouvait poser. Des réunions mixtes se sont tenues pour responsabiliser les éleveurs, qui ont été invités à visiter les bouveries pour voir comment le problème se traduisait au niveau de l’abattage. C’est une démarche très pédagogique.
La question nouvelle est de savoir s’il faut ou non associer les organisations de protection des animaux et, j’ajouterai, les associations de consommateurs. Ce débat doit être organisé – je ne sais pas sous la tutelle de qui ; c’est un élément qui peut rétablir la confiance, lever la suspicion sur ce qui se passe dans les abattoirs, car il a été dit un peu n’importe quoi sur le sujet, des choses vraies comme des choses fausses.
Nous sommes très réservés sur la vidéosurveillance, mais tout dépend de son usage. Si l’écran de réception se trouve dans le bureau de l’inspecteur vétérinaire, qui ne peut être partout dans l’abattoir à tout moment, pourquoi pas ? Cela dépend aussi de celui qui aura la propriété de ces images, de leur délai de conservation, ainsi que de l’usage qui en est fait. S’il s’agit de permettre des retours en arrière dans un processus d’amélioration continue, là encore pourquoi pas ? Il faudra tout de même un dialogue avec les salariés de l’abattoir. Je sais qu’il existe déjà des caméras en poste fixe installées en relation avec les organisations de certification internes et externes, dans le but d’attester des bonnes pratiques.
Le vétérinaire a une compétence multiple. Les aspects d’hygiène sont très liés à ceux du bien-être animal et, pour avoir entendu dans le cadre des longs travaux du conseil national d’orientation de la politique sanitaire animale et végétale (CNOPSAV), sous l’autorité de la direction générale de l’alimentation (DGAL), l’ordre des vétérinaires et le syndicat national des vétérinaires, je suis convaincue que la même personne peut avoir la double casquette. Les vétérinaires revendiquent leur compétence en matière de bien-être, et c’est vrai qu’ils l’ont. Il ne faut pas non plus multiplier les intervenants. Dans un élevage, l’éleveur a la totalité de la responsabilité : il faut tout à la fois que les animaux soient bien nourris, propres, en situation de bien-être, et c’est une seule personne qui gère le tout.
M. le président Olivier Falorni. Merci à tous pour ces présentations particulièrement complètes. Nous tenions à connaître le point de vue des organisations agricoles.
La séance est levée à midi trente.
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Membres présents ou excusés
Commission d'enquête sur les conditions d'abattage des animaux de boucherie dans les abattoirs français
Réunion du jeudi 30 juin 2016 à 10 h 30
Présents. – Mme Sylviane Alaux, M. Jean-Yves Caullet, M. William Dumas, M. Olivier Falorni, M. Jacques Lamblin, Mme Annick Le Loch, M. Hervé Pellois
Excusés. – M. Christophe Bouillon, M. Thierry Lazaro, M. Arnaud Viala, Mme Paola Zanetti